« Vous avez bien là dequoy vous contenter les yeux, l'odorat & l'appetit ». Usages, fonctions et enjeux du lexique des perceptions sensorielles dans les récits de voyages français en Amérique (1545-1618)
« Vous avez bien là dequoy vous contenter les yeux, l'odorat & l'appetit ». Uses, Functions and Challenges of the Lexicon of Sensory Perceptions in French Travel narratives to America (1545-1618)
- Lexique
- Perceptions sensorielles
- Amérique française
- Récits de voyages
- Littérature de la Renaissance
- Découverte et exploration -- Amérique
- Lexicographie
- Littérature de la Renaissance
- Perception
- Récits de voyages
- Lexicon
- Sensory Studies
- French America
- Travel narratives
- Early Modern Literature
- Langue : Français
- Discipline : Langue et littérature françaises
- Identifiant : 2023ULILH012
- Type de thèse : Doctorat
- Date de soutenance : 17/05/2023
Résumé en langue originale
Quels mots utiliser pour décrire les sensations procurées par un « nouveau » monde ? S'il est bien un genre littéraire qui se pose cette question, c'est celui de la littérature viatique. Bien avant l'intérêt porté à la sensibilité chez le voyageur romantique du XIXe siècle, les hommes ont cherché à traduire leurs sensations dans des récits conçus d'abord comme des témoignages oculaires. La perception visuelle est ainsi liée aux genres de l'histoire et de l'enquête depuis l'Antiquité. À la Renaissance, la littérature de voyages se situe au croisement entre l'histoire de la découverte de l'Amérique, l'évolution de la médecine et de l'intérêt porté au corps évoluant dans un environnement inconnu, et, enfin, l'enrichissement de la langue : discours littéraires et scientifiques s'y rejoignent, car ils se fondent tous deux sur le recours à l'expérience et à la connaissance. Notre travail souhaite mettre en lumière cette rencontre de disciplines en étudiant un corpus de neuf récits de voyages réalisés vers l'Amérique française (Canada, Floride, Brésil) depuis le Brief recit de Jacques Cartier (1545) jusqu'à l'Histoire de la Nouvelle-France de Marc Lescarbot (1618). La thèse souhaite ainsi envisager le processus de création lexicale qui s'applique à une nouvelle perception. Comment dire ce qui est inouï, ce qui n'a jamais été senti ? L'étude du lexique des trois sens les moins étudiés par la critique - le goût, l'odorat, et le toucher - permet d'abord d'envisager les liens entre perceptions et sensations, entre ce qui est réellement vécu et ce que les auteurs-voyageurs traduisent dans les textes. Toute sensation est forcément médiatisée par le langage. Comment rendre compte de cette tension entre les perceptions, les sensations et la mise à l'écrit ? Nous choisissons d'aborder le sujet par l'angle du lexique et de l'histoire de la langue française afin d'étudier comment les hommes de la Renaissance percevaient leurs corps, quel était le vocabulaire qu'ils utilisaient pour exprimer les sensations, comment ils en rendaient compte dans les récits de voyages. La perspective est également comparatiste : un tel corpus doit nécessairement être replacé dans un contexte européen plus large. Enfin, dans une volonté de décentrer l'histoire des savoirs, il importait de s'attarder sur la tradition orale autochtone. Comment les populations américaines, notamment les Premières Nations, ont-elles perçu l'arrivée des Européens ? La première partie de la thèse envisage les enjeux linguistiques de la reconstitution des perceptions dans les textes : quels sont les termes présents dans la langue française du XVIe siècle utilisés par les auteurs ? Les textes du corpus sont-ils originaux sur ce point lorsque l'on considère les usages linguistiques ? La deuxième partie met en regard un discours perceptif subjectif et une théorie de la perception comme mode d'accès à la connaissance. Autrement dit, nous examinons le lien entre littérature viatique et connaissance médicale et scientifique de l'époque. Enfin, nous nous intéressons plus largement aux tensions à l'œuvre dans la littérature de voyages entre une perception vécue, source de représentations authentiques, et une perception codifiée, artificiellement articulée à la nécessité de fabriquer des merveilles, de l'extraordinaire et de l'altérité.
Résumé traduit
What words should be used to describe the sensations of a “new” world? If there is a literary genre that asks this question, it is that of travel literature. Long before the interest in the sensibility of the romantic traveler of the 19th century, men sought to translate their sensations into narratives that served first as eyewitness accounts. Visual perception has thus been linked to the genres of history and inquiry since antiquity. In the Renaissance, travel literature encompasses the history of the discovery of America, the evolution of medicine and the interest in the body, and, finally, the enrichment of language: literary and scientific discourses are both employed in travel literature, because they are both based on the use of experience and knowledge. This thesis highlights this meeting of disciplines by studying a corpus of nine travel narratives to French America (Canada, Florida, Brazil) from Jacques Cartier's 'Brief recit' (1545) to Marc Lescarbot's 'The history of New France' (1618). The thesis considers the process of lexical creation that applies to a new perception. How to say what is unheard of, what has never been felt? The study of the lexicon of the three senses least studied by critics - taste, smell, and touch - allows us first to consider the links between perceptions and sensations, between what is really experienced, and what the traveler-authors translate into texts. Any sensation is necessarily mediated by language. How then to account for this tension between perceptions, sensations and reality? These first questions reveal the extent to which the subject is at the crossroads of a certain number of disciplines, but the research is resolutely literary. In this thesis a lexical approach is adopted which incorporates historicist analyses of the French language in order to study how Renaissance men perceived their bodies, the vocabulary they used to express sensations, and the way they reported on them in travel accounts. The perspective is also comparative: it seems impossible to study this corpus without placing it in a broader European context. Finally, in an attempt to decentre the history of knowledge, it was also important for us to focus on the indigenous oral tradition: how did the American populations, particularly the First Nations, perceive the arrival of the Europeans? The first part of the thesis considers the linguistic stakes of the reconstitution of perceptions in the texts: what are the terms present in the French language of the 16th century used by the authors? Are the texts of the corpus original on this point when we consider the ways in which these terms had been used beforehand? The second part compares a subjective perceptive discourse with a theory of perception as a mode of access to knowledge. In other words, we examine the link between travel literature and medical and scientific knowledge of the time. Finally, we are interested more broadly in the tensions at work in travel literature between a lived perception, source of authentic representations, and a codified perception, artificially articulated to the need to create a sense of wonder, of the extraordinary and of alterity.
- Directeur(s) de thèse : Thomine-Bichard, Marie-Claire - Holtz, Grégoire
- Président de jury : Pouey-Mounou, Anne-Pascale
- Membre(s) de jury : Tinguely, Frédéric - Motsch, Andreas - Riendeau, Pascal
- Rapporteur(s) : Giacomotto-Charra, Violaine - Pioffet, Marie-Christine
- Laboratoire : Analyses littéraires et histoire de la langue (Villeneuve d'Ascq, Nord)
- École doctorale : École doctorale Sciences de l'homme et de la société (Lille ; 2006-....)
AUTEUR
- Legrand, Rebecca